Réaction au rapport Villani
A la lecture du rapport Villani, je ne peux que partager l’analyse parfois sévère d’Olivier Ezratty: « Ce que révèle le Rapport Villani ».
Je me contenterai d’ailleurs de n’en effleurer que certains points, ceux où je me sens un peu compétent.
Un exemple intéressant d’innovation en IA appliqué à l’industrie
Au risque de paraître « ancien combattant », je me souviens de ce que nous faisions entre 1985 et 1990 au sein du département d’Intelligence Artificielle des Laboratoires de Marcoussis, centre de recherche du groupe CGE ( Compagnie Générale d’Electricité) démantelé ensuite en de multiples sociétés : Alcatel, Alstom, CGA etc. (dont bien peu sont restées françaises).
A l’époque, connectés avec le MIT, nous avions le top de la technologie à disposition : machines Lisp en provenance de Xerox parc, stations de travail dernier cri, etc. Surtout, nous étions en contact avec de vrais problèmes industriels sur lesquels nous appliquions les technologies de l’IA. C’était le temps aussi où la DRET avait de quoi financer des projets de recherche ambitieux pour la Defense Nationale.
Chacun de nous avait une double compétence scientifique et applicative (ainsi pour moi : logique non monotone et diagnostic des systèmes basés sur des modèles structurels et fonctionnels).
De très nombreux projets sont nés en collaboration avec les filiales du groupe ou avec les grands comptes, notamment des projets dits de systèmes experts. La plupart du temps ils étaient destinés à seconder et aider les experts humains.
Beaucoup de sujets concernaient les domaines du diagnostic curatif et préventif: prévention des mauvais fonctionnement des machines de tris postales, des turbo-alternateurs de centrales hydrauliques, réparation de systèmes électroniques, détection des maintenance préventives par le suivi des vibrations moteur, aide à la prédiction de la qualité des wafers de silicium etc.
A Marcoussis, c’était l’époque où des gens comme Yves Caseau inventait le langage LORE, magnifique synthèse entre le monde des objets et celui du relationnel. Langage avec lequel, j’ai pu concevoir le système expert multi-agents qui pendant plus de 10 ans a permis d’aider l’armée de l’air à reconfigurer le STRIDA, le système de Défense Aérien Français.
Je crois qu’une page exemplaire de l’IA au service de l’industrie reste à écrire de cette époque, non par nostalgie mais pour tirer les leçons de ce qui a fait ce succès et aussi des faillites ultérieures, telles que le démantèlement de la CGE, ou la sclérose structurelle des milieux de la recherche publique.
Une recherche publique qui tourne en rond ?
Dans le même temps la recherche publique (dont j’étais issu…), tournait en rond sur des sujets sans grand intérêt industriel, avec des applications jouets et des croyances aussi dérisoires que de penser qu’un système expert était un système à base de faits et de règles d’inférence, confondant ainsi outils et applications. Il n’y a qu’à jeter un oeil sur la définition de Systèmes Experts sur Wikipedia pour se rendre compte de la permanence de ces idioties.
Pour revenir au rapport Villani, la leçon tirée de ces années, n’est sans doute pas que l’état décrète de grands plans pour que la cohorte des experts autoproclamés, qui pour la très grande majorité n’ont pas produit le moindre système d’IA opérationnel, fassent monter la sauce pour se partager le gâteau que l’état veut réserver au sujet, (forcément ces temps-ci, au détriment d’autres, comme le souligne Olivier).
La liste des thématiques de recherche identifiées en IA laissent pantois quant à leur déconnexion des réalités. Il faudra qu’un jour, soit fait le bilan économique de ces appels à projets qui servent pour une bonne part à maintenir à flot une recherche qui tourne en rond.
Sur un domaine où la recherche fondamentale ne représente qu’une très petite part des sujets, ce n’est certainement pas à la recherche publique de notre pays qu’il faut confier la tâche de le maintenir au niveau international, mais bien aux entreprises de toutes tailles.
D’autant moins, que sur l’informatique en général, ce milieu de la recherche publique souffre des maux qui lui sont communs s’agissant de la valorisation de ses travaux: conflits d’intérêts généralisés, inflation des egos, ignorance de la réalité des entreprises, absence du goût du risque et attrait du confort à vie qui font que, malheureusement, de brillants esprits qui pourraient créer des licornes, préfèrent retourner travailler comme directeur de recherche.
Moins de chercheurs, plus de Product Manager !
L’état doit libérer les énergies des entreprises privés qui seules façonnent les solutions utiles et qui génèrent une valeur économique. Il doit inciter structurellement la collaboration de la recherche publique avec les entreprises (par une évaluation des chercheurs et un mécanismes de choix des sujets adaptées, par un cadre plus sein et incitatif pour passer d’un monde à l’autre, …).
La difficulté que nous avons en France, dans ce domaine comme d’en beaucoup d’autres, n’est pas tant dans la production de science que dans sa transformation et valorisation. Notre pays ne manque pas de brillants chercheurs et ingénieurs en R&D, il manque cruellement de Product Manager !
Et comme le souligne, Olivier, sans cette prise de conscience, ce sont d’autres pays qui tireront la valeur de nos innovations.
Astucieusement, on veut faire croire que l’IA est une thématique de recherche fondamentale au même titre que la recherche sur la compréhension des phénomènes cognitifs, là où il ne s’agit que de technologies informatiques qui permettent de créer des applications nouvelles et plus performantes.
Bref un rapport qui sent le déjà vu et s’essouffle sur la vision, faute sans doute à la surreprésentation des élites des milieux publics, dans ceux qui ont participés à son élaboration. C’est malheureusement un schéma qui se reproduit.